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Couvertures des deux tomes de l'histoire de la Coopération Nord-Sud, par Jacques Forster, publiés aux Editions Alphil fin 2021. Couvertures des deux tomes de l'histoire de la Coopération Nord-Sud, par Jacques Forster, publiés aux Editions Alphil fin 2021.

« Une information de qualité joue une fonction de protection » - entretien avec Jacques Forster

Jacques Forster est professeur honoraire de l’Institut des Hautes Etudes Internationales et du Développement de Genève. Il a été vice-président du CICR entre 1999 et 2007. Il a également siégé plusieurs années au Conseil de la Fondation Hirondelle. Il vient de publier un livre en deux tomes sur l'histoire de la coopération Nord-Sud, aux éditions Alphil. Il nous a accordé un entretien à cette occasion - à lire, ou à écouter ci-dessous.

Au fil de vos expériences croisées dans les mondes de l’humanitaire, du développement et des relations internationales, qu’avez-vous appris sur le rôle des médias, du journalisme et de l’accès à une information factuelle dans les contextes les plus fragiles ?
Jacques Forster : Je dois dire que c’est surtout l’expérience du CICR qui m’a rendu sensible, qui m’a ouvert à ces problématiques, parce que c’est là où j’ai eu l’occasion de connaître ces contextes dits fragiles. Des contextes où des populations, des communautés, souffrent des effets de la violence armée. Quand je suis devenu membre du Conseil de Fondation de la Fondation Hirondelle, je me suis rendu compte d’une chose je n’avais pas réalisée auparavant, c’est la fonction de protection que joue une information de qualité et accessible aux communautés vulnérables dans des situations de conflits et des situations de violence armée. Une des missions essentielles qui est au cœur de l’action du CICR, c’est justement une mission de protection des populations civiles, des non-combattants… Je me suis rendu compte à quel point, sur le terrain, la qualité de l’information est un élément essentiel pour assurer la sécurité des gens. Mais aussi pour des besoins quotidiens comme l’accès à l’alimentation, là aussi l’information peut être extrêmement importante. Dans des situations d’insécurité, recevoir des informations fiables, de qualité, claires, régulières, qui permettent aux auditeurs d’établir une relation de confiance avec le média, avec la source de ces informations est un élément tout à fait essentiel. Il faut que les gens puissent savoir où on peut aller, où on ne peut pas aller, les comportements à éviter… C’est vraiment en découvrant la Fondation Hirondelle que je me suis rendu compte de l’importance cruciale, critique, de l’information dans cette problématique de protection.

Que retenez-vous de ces années passées au Conseil de la Fondation Hirondelle ?
En découvrant la Fondation Hirondelle, j’ai trouvé une institution dont les valeurs étaient clairement affichées, valeurs auxquelles je pouvais m’identifier. Une institution qui avait aussi des principes d’action extrêmement clairs. L’autre aspect qui m’a beaucoup impressionné, c’est la capacité de la Fondation à s’adapter. Tout en restant claire par rapport à ses principes, la Fondation dispose d’un cadre d’action transparent et a aussi cette capacité, du fait de sa taille, du fait de son organisation, à s'adapter à des situations changeantes et à pouvoir répondre à des besoins qui peuvent être très divers suivant les endroits et les périodes.

Jacques Forster, vous venez de publier un livre en 2 tomes aux éditions Alphil, sur l’histoire de la coopération Nord-Sud. La Fondation Hirondelle inscrit son action dans le cadre de cette coopération, dans le cadre des politiques d'aide au développement. Vous avez passé en revue cette histoire récente -pratiquement centenaire- de la coopération Nord-Sud. Que peut-elle nous apprendre sur le monde d'aujourd'hui, et peut être sur le monde de demain ?
L’axe de cet ouvrage, c’est de voir quel est le rôle de la coopération Nord-Sud dans les relations internationales. Si on prend la coopération dans la perspective des Etats, on voit que cette aide au développement, donc aussi bien l'action humanitaire que la coopération au développement, a une double mission.
D'un côté, c'est un instrument de solidarité, donc avec une visée altruiste, mais d’un autre côté ça reste un instrument de politique extérieure et il peut donc y avoir une tension entre ces deux objectifs, celui de défendre des intérêts nationaux des pays qui financent la coopération et d’autre part des objectifs altruistes.
Ce qui marque cette coopération Nord-Sud depuis le début, c’est son caractère asymétrique. On utilise des termes de coopération, par exemple le terme de partenariat, mais on voit que les deux parties n’ont pas le même poids dans cette relation. Il y a des efforts qui sont faits depuis longtemps pour essayer de rééquilibrer ça, c’est un travail de longue haleine. Il y a des progrès qui ont été faits au niveau des intentions ces dernières décennies, avec des belles déclarations, mais ça doit encore être mis en œuvre.
Par ailleurs, une évolution intéressante est que certains pays du Sud deviennent eux-mêmes fournisseurs d’aide. Parmi ces pays, il y en a qui sont à la fois des receveurs d’aide, de la part des pays occidentaux mais en même temps qui ont leur propre programme de coopération.

Quel rôle les questions liées à l’information et à son revers, la propagande, ont-elles joué dans l’histoire de la coopération que vous avez parcourue et que vous racontez dans ces 2 ouvrages ?
Je dirais qu’elles ont joué un rôle « par défaut », c’est-à-dire que l’agenda des acteurs de la coopération au développement, surtout des acteurs étatiques, a été influencé par des grands phénomènes comme la Guerre Froide. On voit qu’il y a toute une série de thèmes qui sont totalement absents du débat dans la coopération au développement ; si on prend par exemple la question des Droits de l'Homme ou la qualité de la gouvernance des affaires publiques, ces thèmes ne sont tout simplement pas mentionnés. Parce que l’objectif, pour les principaux acteurs, c’était au fond de veiller à ce que les pays qui reçoivent de l’aide aient un certain comportement sur le plan de leurs relations internationales.

Aujourd’hui, les questions liées à l’information, ou plutôt à la désinformation, et aux tristement célèbres « fake news », sont une problématique globale majeure, y compris dans les relations internationales et au niveau diplomatique. Comment ces problématiques de la désinformation, et de la réponse à la désinformation, pèsent-elles sur les enjeux de la coopération aujourd’hui ? Leur impact sur les relations internationales est-il plus fort aujourd’hui qu’hier ?
Il est plus fort du fait justement des outils qui sont au service de la désinformation. Si on prend les réseaux sociaux et les nouvelles technologies de la communication, il y a vraiment les deux faces : d’un côté des opportunités extraordinaires de pouvoir diffuser de l’information et de l’autre côté de pouvoir diffuser de la désinformation.
Mais c’est un problème qui va au-delà de la coopération Nord-Sud, qui touche toutes les sociétés, je crois qu’on est en train d’en faire tristement l’expérience ici, par exemple dans le contexte de la pandémie qui nous frappe. C’est une problématique qui est absolument globale. Il y a des problèmes qui sont peut-être plus graves dans le Sud, notamment quant à la gestion de la pandémie, mais sur le plan de la désinformation je crois que nous sommes tous égaux face ces phénomènes.