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Le mur des prix Pulizer dans les nouveaux bureaux du "Washinton Post" à Washington D.C, en mars 2016. ©AFP or licensors Le mur des prix Pulizer dans les nouveaux bureaux du "Washinton Post" à Washington D.C, en mars 2016.

"Rendre le pouvoir responsable de ses actes, c’est le rôle des médias"

Philip Bennett, professeur de Journalisme et politiques publiques à l’université Duke (Caroline du Nord) et ex-rédacteur en chef adjoint du Washington Post (2005-2009), analyse les relations actuelles entre médias et pouvoir. Une interview réalisée pour la newsletter trimestrielle "Quoi de neuf" de la Fondation Hirondelle consacrée aux "Médias face aux pouvoirs" :

La période actuelle, notamment aux Etats-Unis, est marquée par une défiance des gouvernements envers les médias. Comment situez-vous ce moment dans l’histoire ?
Philip Bennett : Quand l’Internet a émergé en tant que média de masse dans les années 2000, l’espoir était immense d’une plus grande liberté de l’information : tout le monde pouvait avoir accès à l’information, découvrir de nouveaux faits et trouver la vérité. Mais dans les années 2010, l’Internet est aussi apparu comme un outil pour diffuser de fausses informations et contrôler l’opinion. Aux Etats-Unis, Barack Obama a fait un usage très efficace de la communication directe que permettent les réseaux sociaux. Dans un style très différent, Donald Trump a pris l’habitude d’attaquer ses ennemis, de mettre en cause les faits et d’annoncer de nouvelles politiques en 140 signes – puissant moyen de prévenir le débat public sur ses décisions.
Les hommes politiques ont toujours essayé d’utiliser les nouvelles technologies pour façonner la réalité et transmettre des messages directement au public : dès les années 1930, Hitler, Churchill ou F. Roosevelt ont eu cet usage de la radio. Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est que les réseaux sociaux permettent d’envoyer des messages à certaines audiences ciblées, et à ces audiences de communiquer entre elles. Il y a une tendance croissante des gouvernements dans certains pays démocratiques à intervenir dans le travail des médias, et à mettre en œuvre des stratégies sapant la confiance que le public a en eux. Les attaques constantes de Trump contre les médias en sont un exemple. De façon plus subtile, l’administration Obama faisait pression sur les médias en menant des enquêtes sur les fuites d’informations.

Les médias traditionnels peuvent-ils résister à ces attaques par des gouvernements ?
Ils devraient essayer. C’est l’un des principaux défis qui se pose à la démocratie : existe-t-il encore une mise en question publique du pouvoir politique par les médias ? Nous assistons à une guerre mondiale de l’information entre différents acteurs – gouvernements, multinationales, ONG… Les médias traditionnels participent à cette guerre, mais ils ne la dominent plus. Leur meilleure arme est un ensemble de principes établis pour prouver qu’ils servent l’intérêt général : être transparent, éviter les conflits d’intérêt, séparer les faits et les opinions.
Tel est le sens du Washington Post Standards and Ethics (voir ci-contre), par exemple, créé à la fin du XXe siècle pour permettre aux journalistes d’élargir le champ de leurs investigations sans être accusés de favoritisme. En effet, le rôle principal des médias reste de rendre le pouvoir responsable de ses actes. Le meilleur moyen de le faire n’est pas de devenir un média d’opposition, mais de rester un média désintéressé dont le but est de publier des histoires vraies que le gouvernement veut garder secrètes mais que le public doit connaître.

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The Washington Post Standards and Ethics
Publié en 1999, The Washington Post Standards and Ethics (code déontologique du Washington Post) stipule :
« Le Washington Post est engagé dans une quête active, responsable et juste de la vérité, sans craindre ni favoriser quelque intérêt que ce soit. (…) Nous n’acceptons aucun cadeau de nos sources. (…) Tous les reporters et éditeurs doivent divulguer à leur responsable tout intérêt financier susceptible d’entrer en conflit avec leurs devoirs journalistiques. (…) Le Washington Post s’engage à divulguer ses sources d’information quand cela est possible. (…) Nous évitons de nous impliquer dans des causes partisanes qui pourraient compromettre notre aptitude à écrire ou à éditer de façon impartiale. (…) La séparation entre les rubriques d’informations et les pages d’éditoriaux et opinions  est affirmée de façon solennelle. (…) Le Washington Post est vivement préoccupé par l’intérêt national. Nous croyons que cet intérêt est mieux servi par la diffusion la plus large possible de l’information. (…) Le journal ne sera l’allié d’aucun intérêt particulier, mais proposera une perspective juste, libre et saine sur les personnes et affaires publiques ».
Ces principes ont été complétés en 2011 par des « Recommandations de publication en ligne » destinées à « maintenir la crédibilité » des journalistes du Post sur les réseaux sociaux.

Article à retrouver dans la newsletter "Quoi de neuf" de la Fondation Hirondelle datée Automne 2017, à télécharger ici.