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Mouhamadou Touré, rédacteur en chef de Studio Tamani. ©Matthieu Rosier / Vost Collectif / Fondation Hirondelle Mouhamadou Touré, rédacteur en chef de Studio Tamani.

Mieux écouter pour mieux informer

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Mouhamadou Touré est rédacteur en chef de Studio Tamani, média de la Fondation Hirondelle au Mali. Selon lui, les médias doivent davantage écouter les besoins du public en matière d’environnement pour contribuer à la recherche de solutions pertinentes au Mali. Cette interview est tirée de notre 10e publication "Médiation", disponible sur ce lien.

Les Malien·ne·s subissent beaucoup les effets du changement climatique alors qu’ils contribuent très peu à la pollution carbonée. Dans ce contexte, quels sont leurs besoins d’information sur les sujets environnementaux ?

Mouhamadou Touré : Aujourd’hui les Malien·ne·s vivent et constatent quotidiennement les effets dramatiques du changement climatique : hausse des températures, avancée du désert, dégradation des sols, disparition d’espèces animales dont les éléphants... Ce qu’ils demandent aux médias, c’est de leur en expliquer les causes et les responsabilités, qui sont aussi partagées. Bien sûr les émissions carbonées des pays riches sont la source principale du problème, mais les Malien·ne·s y contribuent également : coupes abusives de bois afin de chauffer leur nourriture, absence d’entretien des plantations d’arbres qu’ils mettent en œuvre pour compenser ces coupes... Les médias peuvent contribuer à sensibiliser le public malien à ces sujets, en mettant l’accent sur les solutions.

Mais avec les crises multiples auxquelles le pays est confronté, il y a d’autres sujets de préoccupation au Mali. Le public est-il intéressé par les questions environnementales ?

Ca dépend comment le sujet est traité. Le changement climatique rejoint le terrorisme sur un point : les médias en parlent tellement, et pourtant la situation empire tellement, que la population finit par ne plus croire qu’il existe de solution et a tendance à se détourner de ces sujets. Parallèlement, les solutions institutionnelles proposées au Mali sont souvent calquées sur le modèle européen (constructions en béton isolées thermiquement, marche ou vélo en ville…) alors que ces solutions ne sont pas efficientes ici. Dans ce contexte, les médias ont le pouvoir d’organiser un véritable débat sur la façon spécifique dont le Mali pourrait s’adapter au changement climatique. Cela passe par l’analyse des besoins de la population. Pour cela, il faut sortir d’une logique d’urgence où l’on couvre les derniers événements jour après jour, et prendre le temps d’écouter la population.

Le projet «Droits des femmes», mené conjointement par Studio Tamani et l’Institut Malien de Recherche Action pour la Paix (IMRAP), nous en a par exemple donné l’occasion. Divisé en plusieurs thématiques dont «Femmes et changement climatique», ce projet a permis à des journalistes et des chercheurs d’écouter pendant plusieurs semaines des focus groups de femmes maliennes, d’abord seules puis en présence d’hommes. Puis à partir de ces discussions nous avons produit plusieurs formats journalistiques : témoignages, portraits, documentaires, motion design, débats… Et nous les diffusions sur plusieurs canaux : radio, télévision, réseaux sociaux… Nous constatons que cette méthode de travail permet aux Malien·ne·s, et même aux plus rétifs, de dialoguer.

Comment adapter l’information sur les questions environnementales pour répondre à ce besoin de solutions ?

En matière de climat et d’environnement, les Malien·ne·s ne regardent pas tant l’horizon 2030 ou 2050, ils expriment leurs préoccupations d’aujourd’hui : couper du bois pour faire à manger, mettre de l’engrais dans les champs pour améliorer les récoltes... Et ils sont bien davantage intéressés par les solutions locales, maliennes ou sahéliennes, que par des solutions venues du Nord. C’est pourquoi il est intéressant de coproduire des émissions sur le sujet avec les médias de la Fondation Hirondelle dans les pays voisins : Studio Yafa au Burkina Faso et Studio Kalangou au Niger. Et surtout, il faut parler de la crise écologique également en termes de bénéfices et d’opportunités. Il y a un problème d’emploi au Mali ? Il est évident que le recyclage des déchets est un secteur qui peut se développer et apporter beaucoup de travail. Bref, les médias ont un rôle à jouer pour mettre en valeur des solutions locales aptes à répondre aujourd’hui aux problèmes locaux d’aujourd’hui.

Retrouvez le 10e numéro de notre publication "Médiation" dans son intégralité ici.