Secrétaire générale d’Amnesty International, Agnès Callamard fait le point sur la mise en oeuvre du droit humain à l’information. Dans un environnement numérique devenu dominant en matière de médias, elle pose les conditions d’un accès universel encore lointain à une information fiable.
L’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) promulgue un droit de « chercher » et « recevoir » de « l’information », c’est-à-dire un droit humain de pouvoir accéder à l’information. Ce droit vous semble-t-il mis en œuvre aujourd’hui ?
Agnès Callamard : Le droit d’accès à l’information au sens de l’article 19 de la DUDH n’est pas effectif partout dans le monde aujourd’hui. Ce sont les États qui sont censés garantir ce droit en permettant à tou.te.s les habitant.e.s, même les plus pauvres, même ceux résidant dans les zones rurales les plus éloignées, de recevoir de l’information. Aujourd’hui, nous en sommes loin. Il y a d’abord une très grande disparité d’accès aux services numériques entre pays riches et pauvres, et cette fracture numérique est une source d’inégalité devant l’accès à l’information. De plus l’environnement numérique, qui est aujourd’hui dominant en matière d’accès à l’information, se caractérise par une immensité de contenus où les utilisateur.rice.s sont bombardé.e.s de propagande, contre-vérités, désinformation, mensonges, violences… Cette situation de prolifération des contenus ne favorise pas leur qualité. De nombreuses études montrent que les contenus violents, sexistes, racistes ou discriminatoires sont 40 fois plus présents dans l’environnement numérique que les informations reposant sur les valeurs des droits humains. Ce n’est pas une situation idéale pour développer son esprit critique, ni pour se développer individuellement et collectivement. Cela est d’autant plus inquiétant que lorsqu’il est mis en œuvre, le droit d’accès à l’information permet la réalisation d’autres droits humains, comme le droit à la santé par exemple : le droit de savoir quels sont les risques, quels sont les traitements, etc. Durant la pandémie de Covid-19, la censure médiatique d’une cinquantaine d’États à commencer par la Chine a eu des conséquences sanitaires considérables.
Dans cette situation, faut-il promouvoir un droit humain d’accéder à des informations fiables ?
Je ne le pense pas car ce n’est sans doute pas aux États de garantir la fiabilité d’une information : historiquement, ils ont tellement eux-mêmes usé de propagande qu’on ne peut pas leur faire confiance en la matière. Et lorsque des milliards de contenus sont publiés chaque jour, ils ne peuvent de toute façon pas tous les contrôler. C’est plutôt l’individu qui, par son esprit critique, porte la responsabilité de gérer la fiabilité de l’information qu’il reçoit. Mais pour qu’il puisse le faire, il faut s’assurer qu’il ne sera pas automatiquement soumis à des contenus qui violent le droit international. Les États doivent donc réguler les médias et les réseaux sociaux, en exigeant la transparence de leurs algorithmes afin de vérifier que ceux-ci ne favorisent pas des contenus qui appellent « à la haine nationale, raciale ou religieuse » ou qui constituent « une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence » : ces contenus sont en effet interdits par l’article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Et un algorithme qui favoriserait la visibilité de ces contenus serait lui-même une violation de cet article.
Si ce n’est pas par un nouveau droit, comment faire en sorte que les humains puissent davantage accéder aux informations fiables souvent perdues dans l’océan des contenus numériques ?
Il faudrait d’abord que ces informations fiables, de même que les contenus qui reposent sur le respect des droits humains, soient plus nombreuses dans cet océan. Malgré le développement de médias d’investigation et de consortiums de journalistes qui font un excellent travail, leur production reste quantitativement marginale. Il faudrait ensuite que ces contenus soient mieux mis en valeur par les algorithmes de la Big Tech, ce qui suppose d’imposer à ces entreprises un business model qui ne viole pas les droits humains. Il faudrait également interdire la concentration capitalistique des médias aux mains d’un petit groupe d’êtres humains ou d’entreprises qui pourraient être tentées d’imposer leurs vues. Il faudrait enfin protéger les médias locaux et communautaires afin de s’assurer que tou.te.s puissent avoir accès à une information fiable et respectant les droits humains.
– Propos tirés du Rapport annuel 2024 de la Fondation Hirondelle à retrouver ici.
