
Nina Verishagen et Diane Zerr, professeures à l’École polytechnique de la Saskatchewan (Canada), ont publié en 2022 Disinformation: Dealing with the Disaster (« Désinformation : faire face au désastre »). Ce manuel en ligne, qui s’adresse à tous les publics, fournit des outils pour développer son esprit critique et s’orienter dans l’espace informationnel en ligne.
Comment est née l’idée de publier un manuel sur la désinformation ?
Nina Verishagen et Diane Zerr : Il y a dix ans, alors bibliothécaires dans un établissement d’enseignement supérieur au Canada, nous avons donné des cours aux étudiant·e·s sur la manière de faire une recherche d’informations fiables. Au fil du temps, alors que le web se densifiait, les fausses informations en ligne se sont mises à proliférer, tandis que les gens perdaient leur capacité à les repérer. Nous avons réalisé qu’ils avaient besoin d’apprendre à exercer leur sens critique sur les informations en ligne. Un événement, pendant le confinement lié la pandémie de Covid, nous a vraiment alertées. Alors que nous enseignions sur Zoom, un étudiant nous a confié qu’il ne lisait que les commentaires des articles parce qu’il pensait y trouver les informations les plus fiables. A ce moment-là, nous avons décidé d’écrire Disinformation: Dealing with the Disaster (« Désinformation : faire face au désastre »), et de le publier en accès libre, en utilisant un langage simple, dans l’espoir d’atteindre le plus grand nombre de personnes.
Quels types de désinformation avez-vous identifiés ? La situation a-t-elle évolué depuis la publication du livre en 2022 ?
Nous utilisons le terme générique de « désordre informationnel » pour englober différents types de fausses informations : la mésinformation, la désinformation, la malinformation, la déformation et la propagande. Tous ces phénomènes sont très répandus dans le paysage nord-américain. Le désordre informationnel a évolué depuis la publication du livre. La malinformation et la déformation sont devenus les types les plus répandus en raison de l’évolution des technologies. La malinformation, c’est-à-dire le fait de légèrement modifier ou mésinterpréter une information pour nuire à une entité spécifique, est devenue très courante : les gens sont prompts à partager les gros titres et à les interpréter à leur manière sur les réseaux sociaux. Ces titres sont consultés par d’autres personnes qui les commentent et les partagent à leur tour, en particulier lorsqu’ils proviennent de comptes de célébrités ou d’influenceurs. La déformation est également de plus en plus courante. Elle arrive lorsqu’une personne ne partage sciemment qu’une partie d’une information, hors contexte, et se concentre sur cette partie pour renforcer son argumentation ou déformer les faits. La déformation progresse grâce à l’IA et est exacerbée par la course au clic : même le journalisme traditionnel est coupable d’utiliser des titres chargés d’émotion pour ses articles.
Dans votre dernier chapitre, vous insistez sur le fait que, quelle que soit la réglementation des médias par les Etats, les citoyen.nes ont beaucoup à faire par eux-mêmes pour contrer la désinformation…
Les citoyen·ne·s sont libres de choisir leurs sources d’information, et peuvent privilégier celles qui respectent des standards déontologiques. Ils peuvent interroger ce qu’ils voient et lisent. Ils ont le choix des réseaux sociaux qu’ils fréquentent, et peuvent décider de la manière dont ils interagissent sur ces plateformes. Ils peuvent choisir de faire une pause s’ils sont submergés par l’émotion et prendre le temps de réfléchir aux informations qu’ils partagent. Tout le monde doit faire preuve d’esprit critique pour naviguer dans l’espace informationnel en ligne. Même les citoyen·ne·s les plus instruit·e·s ne sont pas toujours en mesure d’identifier une information fiable. Mais ceux d’entre nous qui disposent des connaissances et des outils permettant de repérer la désinformation ont le devoir d’éduquer et d’expliquer comment elle fonctionne.
– Propos tirés du Médiation N.15 de la Fondation Hirondelle à retrouver ici.